Quand Loan m'appelle, je suis en train de terminer mon service au Starbucks. Il me demande comment je vais et si ça me dit que l'on se voit maintenant. J'accepte sa proposition et il me dit de le rejoindre à Oxford Street, je lui dis que j'arrive. Je quitte le Starbucks cinq minutes plus tard, le temps de m'occuper d'un dernier client et de dire au revoir à Jack. Je met mon casque et monte sur ma vespa avant de démarrer.

Arrivée au début de la rue commerçante, je descend de l'engin et remet mes cheveux en ordre avant d'attendre Loan. Je suis un peu trop tôt car il m'a dit qu'il arriverait dans 10 minutes, j'observe la foule en mettant mes écouteurs pour faire passer le temps. Quelle que soit l'heure, l'Oxford street est toujours bondée, les touristes et les habitants viennent tous faire leur shopping ici. Une musique différente sort de tous les magasins et s'accorde avec les discussions des passants, j'entends le brouhaha même avec mes écouteurs. Je reconnais des étudiantes de Brunel, les cours sont finis depuis longtemps, j'imagine que si je n'avais pas un emploi au Starbucks, je passerais aussi du temps ici, avec mes potes. Je vois aussi des mères qui viennent acheter de nouveaux vêtements à leurs enfants, certaines ont des poussettes et d'autres tiennent leur enfants par la main. Le soleil se couche sur la grande rue, il est bientôt 19h et tous les magasins ferment à 21h. Un vent frais souffle et je rentre mes mains dans mes poches en frissonnant, l'hiver approche... 

Je tourne la tête vers la place où débouche la rue commerçante et j'aperçois Loan arriver. Je me redresse un peu et coupe ma musique avant de retirer les écouteurs. Je l'accueille avec un grand sourire.

-Coucou! Ça va?

Il y a quelque chose qui n'allait pas, un pli soucieux lui barre le front. Je me demande ce qu'il y a et si c'est à cause de ça qu'il m'a proposé qu'on se voit.

Je ne suis pas convaincue par sa réponse, il a l’air un peu préoccupé, je suis persuadée qu’il s’est passé quelque chose mais je n’ose pas insister.

-Oui, je vais bien !

Je n’ai pas trop de problèmes pour le moment et je commence une relation peut-être sérieuse avec un mec, donc oui, je vais bien. Je prends son bras et le suis dans le café, la chaleur m’enveloppe et je souris, contente de me réchauffer un peu. Nous allons nous installer à une table et j’enlève ma veste avant de commander un chocolat chaud et laisser Loan commander à son tour. Quand le serveur apporte les boissons, je prends la mienne à deux mains pour réchauffer mes mains, je ne bois pas encore, je sais que je me brûlerai. Je lève les yeux sur mon ami, il a les yeux plongés dans sa boisson, je fronce les sourcils, il n’est vraiment pas comme d’habitude. Je tente un petit sourire et essaye de le sortir de ses pensées.

-Loan ? Tu es avec moi ?

Il relève les yeux et je lui souris plus franchement sans cacher la pointe d’inquiétude dans mes yeux.

-Tu es sûr que ça va ? T’as pas l’air dans ton assiette…

Je hausse un sourcil, j’espère qu’il va me dire ce qu’il cloche parce que s’il me dit qu’il n’y a rien, je ne le croirais.

Il m’avoue qu’il a appris quelque chose, ça ne m’étonne pas. Ce qui m’étonne est tout autre, ce qu’il avait appris le bouleverse. Je ne l’ai jamais vu comme je le vois maintenant, déboussolé et perdu. Il me confirme que c’est pour me le dire qu’il m’a appelé, il a besoin de se confier à quelqu’un. J’avoue que je suis curieuse de savoir ce que l’impassible Loan met dans cet état, ça doit être un truc énorme si ça a réussi à le faire tanguer.

-Tu peux m’en parler si tu en as besoin…

Dans la douceur, comme je l’apprends au cours de psychologie générale, je parle d’une voix douce et pas trop fort, histoire de ne pas le déboussoler plus qu’il ne l’est. Parfois, c’est utile ce qu’on apprend à l’école ! Je le laisse réfléchir, il en a apparemment un grand besoin, ma curiosité grandit mais je reste patiente, s’il a besoin de se confier, il le fera, sinon soit il se débrouillerait, soit… Je bois une gorgée du chocolat chaud, il est encore un peu trop chaud et il brûle ma gorge. Je repose le gobelet et décide de ne réchauffer que mes mains pour le moment… Je plonge un peu dans mes pensées le temps que mon ami se décide, ce qui peut prendre un petit temps. Je pense à Jack, à mon secret qui me pèse. J’en ai enfin parlé à quelqu’un mais le soulagement n’avait été que de courte durée, c’est à ce moment-là que j’avais compris que tant que je restais Abby Tina Yoon, je ne trouverais pas la paix. Cette évidence ne me délivre pas du tout car je sais que je dois rester Abby. Je ne raconte mon histoire qu’aux gens de confiance, ceux qui prennent une place importante dans ma vie. Mes pensées retombent sur Jack, il faut que je le lui dise, il mérite la vérité non ? Je finis par m’arracher à mes pensées, je ne dois pas réfléchir à ça maintenant, pour le moment, Loan a besoin d’aide. Je relève les yeux vers lui et je vois qu’il s’est décidé à m’en parler dans son regard…

Il me sourit un peu et se lance en m’avouant qu’il est papa. Je ne m’y attends pas du tout, je n’ai pas pensé une seconde que Loan pouvait avoir un enfant ! Il se sent coupable, ça se lit dans ses yeux. Il se frotte les tempes, il croit que c’est de sa faute et je ne comprends pas très bien pourquoi. Il me dit que son petit garçon a deux ans et qu’il ne l’a pas vu longtemps. Inconsciemment, je pense à Noa, le fils de ma cousine, il a deux ans aussi et a des origines coréennes, je secoue légèrement la tête. Non, ça ne peut pas être Noa, le fils de Loan, sinon, ça voudrait dire que c’est lui qui a violé Zoey. Le doute c’est pourtant insinué en moi, je lui demande donc de quoi me débarrasser de ce doute.

-Je comprends que tu sois perdu… Il s’appelle comment ?

J’espère qu’il n’allait pas me répondre ce nom, je suis un peu inquiète bien qu’au fond de moi, je sais déjà la vérité. Il ne doit pas y avoir beaucoup d’étudiantes qui ont un enfant de deux ans avec un visage coréen si ?

Noa, le fils de Zoey s’appelle Noa. Je fixe Loan avec un air ahuri. Je ne peux pas croire cela, je ne peux pas croire que Loan est celui qui a violé Zoey il y a deux ans, je ne peux pas croire que c’est lui, le père de Noa… Je reste la bouché bée à observer mon ami, un peu fier d’être papa. Ma cousine a retrouvé le père de son enfant et je me demande dans quel état elle doit être à l’instant où je parle avec Loan. Je reste longtemps silencieuse et il a remarqué que quelque chose ne va pas, il me fixe aussi et je baisse les yeux sur mon café. Je prends une gorgée, il est encore chaud mais tant pis. Je finis par relever lentement les yeux vers Loan, je n’arrive pas à imaginer qu’il ait pu faire une chose pareille, je ne l’en aurais jamais cru capable mais, alors que je l’observe avec incompréhension, je remarque quelque chose. Il a l’air fier mais pas tant coupable que ça, je plisse les yeux et me demande s’il se souvient de la soirée où il a fait du mal à ma cousine…

-C’est Zoey qui t’a dit que tu es le père de Noa ?

Il me regarde, je crois qu’il se demande comment je connais Zoey. Je pince mes lèvres et parle dans un souffle.

-Zoey, c’est… c’est ma cousine.

Je baisse de nouveau les yeux, je suis amie avec l’agresseur de ma cousine. J’ai un peu honte de moi, je ne sais pas comment ça c’est passé ni s’ils ont beaucoup parlé. Tout ce que je sais se résume au fait que Zoey a eu Noa à cause ou grâce à un viol…